Nocturne (Parade)
J’ai écrit « Nocturne (Parade) » en accompagnant mon père jusqu’à son dernier souffle.
Protéger la création de cette épreuve, l’en tenir éloignée, était illusoire. En ce sens j’ai composé ici un hommage à un être aimé disparu, à un penseur. Mon père était un homme pacifiste,
profondément brisé après l’épreuve de la guerre d’Algérie où on l’avait envoyé de force comme tous les conscrits. Son père et lui avaient ce point commun d’avoir survécu à une guerre ;
malheureusement, pas son grand père, mort sur un champ de bataille de la Première Guerre Mondiale.
Une photo retrouvée montre mon père enfant, culotte courte, un jouet dans les mains, figé dans ce qui semble un cri. Il me rappelle le petit Oskar, l’enfant du film « Le Tambour » de Volker
Schlöndorff. Lui et Oskar refusant de grandir dans un monde dérivant inexorablement vers la terreur, peuplent souvent certaines de mes nuits de sommeil agité. Dans les derniers instants avec lui,
l’effroi de sa proche fin m’a rapprochée du poème Erlkönig de Johann Wolfgang Von Goethe. Face à sa peur de l’inconnu et dans la souffrance, je suis devenu le père de mon père. J’ai tenté de le
rassurer alors qu’il était poursuivi par le « Roi des Aulnes ». Mains mêlées, jusqu’à ce que son corps abandonne la lutte. La mort d’un père rend ses enfants inconsolables. Celle d’un pacifiste
est une immense perte pour tous. Face à la violence, le poète use de la prose, c’étaient les armes de mon père.
Qui ne pense aujourd’hui aux enfants des décombres de Palestine, d’Ukraine ou du Soudan, transformant en cerceau une voiture imaginaire pour s’extraire des ruines. Ils et elles ne jouent pas à la
guerre ! Ce sont les dominants qui y jouent avec une perversion toujours plus inacceptable. Le petit Oskar crie dans le suraigu, brise les verres, les enfants de la misère crient pour nous
extraire de l’indifférence. Je crie contre l’insupportable violence néolibérale qui nous mène aujourd’hui au retour des fascismes en Europe, aux Etats Unis d’Amérique. Aura-t-elle raison de
l’Humanité
J’ai créé « Nocturne (Parade) » imprégnée de l’épreuve du deuil, détruite mais heureuse d’imaginer un envol joyeux, une chevauchée vers la paix. Le vent et la musique tiennent ensemble le rôle du
souffle vital. Les marionnettes anthropomorphes, enveloppes faites de plastiques, sont domptables malgré leur imprévisibilité.
Sur scène la Vie et la Mort sont là, incarnées. L’une et l’autre, indissociables adversaires en perpétuel mouvement s’affichent autant dans les victimes que les bourreaux, dans les esclaves
autant que les maîtres, les pères, les enfants, les chevaux, ou une armada de squelettes et de drapeaux. Le poème est devenu un puzzle, une suite de chemin fait d’allers retours vers la grâce
autant que le désordre. Un manège où la nuit est propice pour développer de nouveaux sens.
La parade advient par un souffle d’air qui traverse l’espace, celui qui permet de garder un lien invisible. De la Danse Macabre de Camille Saint Saëns à l’Ouverture de Guillaume Tell de Gioachino
Rossini en passant par l’aria « Der Hölle Rache », (la Reine de la nuit), « massacré » par Florence Foster Jenkins, la mort est la star qui vrille, couverte d’un manteau d’insultes et de bombes
jusqu’à l’effrayante apocalypse.
Peut-être que la paix est une lumière, peut-être qu’elle n’existe pas, peut-être qu’elle est un souvenir d’enfant.
Phia Ménard,
Le 24 septembre 2025.